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Tout autour du vin
31 mars 2009

... et pendant ce temps !

Pendant que la vigne pousse, insensible aux vissicitudes du marché, la "grande semaine primeur" a débuté à Bordeaux. Depuis dimanche et jusqu'à samedi, nombre de journalistes, acheteurs, importateurs, distributeurs, dégustateurs, amateurs et autres commentateurs vont venir à Bordeaux goûter le nouveau millésime. Ils viennent des quatre coins du monde et l'ensemble de la profession se met en quatre pour les recevoir en grande pompe. Comme un avant goût de Vinexpo, les pelouses sont tondues, les propriétaires injoignables, les plaquettes imprimées, les traiteurs réservés et les vins arrangés !!!

Deux questions donnent cependant à la fête cette année un goût particulier et inhabituel.

1- le millésime sera t'il à la hauteur ??? Après 2005, 2006, 2007 et 2008 (bien que de qualité différente) ont été trois millésimes tardifs. Et comme souvent à Bordeaux, les millésimes tardifs ne sont pas les plus demandés. C'est que finalement, nos acheteurs, on ne peut leur faire prendre des vessies pour des lanternes ! Et que le raisin, pour mûrir convenablement, il a besoin d'une certaine quantité de soleil (et de feuilles aussi mais nous y reviendrons une autre fois). La très sérieuse Faculté d'Oenologie de Bordeaux nous livre ainsi ces chiffres qui résument pour moi une bonne partie du millésime. La durée d'insolation totale d'avril à septembre est en moyenne de 1435 heures entre 97 et 2006. Elle est de 1334 heures en 2008. Certes, on va trouver des contre exemples et, à droite comme à gauche (je parle des rives de la garonne !) des vins magnifiques. Il n'empêche que 2008 reste pour moi un millésime moyen à bon sur la moyenne du bordelais. Mais ceci il vaut mieux le garder pour soi. Ce n'est pas le moment de le dire ! De toute façon, l'essentiel c'est que les médias, et particulièrement les grands critiques mondiaux, attribuent une bonne note à ce millésime.

2- Mais au delà de la qualité du millésime, c'est le prix auquel il sera vendu qui inquiète les professionnels et alimente toutes les conversations. Cette semaine, le monde du vin goûte les 2008. Mais dans les semaines et les mois qui vont suivre, il va falloir le vendre, et le vendre "en primeur". Je parle là des quelques crus bordelais (100 à 200 quand même) qui vendent en primeur. Après la folie du millésime 97, puis 2000 puis 2005, tous les acheteurs réclament des baisses de prix. Des distributeurs anglais menacent de boycotter le millésime si les prix ne reviennent pas à la hauteur de ceux de 2004. Les négociants bordelais, coincés entre les producteurs et leurs clients, aimeraient eux aussi que les prix baissent. Ils savent que sinon 2008 sera et restera un millésime très difficile à vendre. Déjà des bruits courrent... Chateau Margaux sortirait à -50%.... Ce serait un signe fort... Alors baissons !!! Oui mais... comme toujours, il y a les effets pervers, le revers de la médaille ! Si le prix de 2008 est nettement inférieur à celui des 2006 et 2007, que vont devenir ces vins qui encombrent les chais des négociants (ou leur bilan pour ceux qui ne sont pas encore livrés mais déjà achetés ). Le message serait en quelque sorte : "on vous a pris pour des cons pendant 2 ans mais vous vous en êtes rendus compte"... J'exagère évidemment. Mais comment expliquer qu'un millésime aussi bon sinon meilleur que les 2 précédents est vendu 2 fois mois cher....

On touche là la spécificité et parfois l'absurdité du marché bordelais des grands crus. La seule explication possible à la lumière de ce que je viens rapidement de décrire est que ce marché est devenu SPECULATIF. De telles variations de prix en quelques mois ne se rencontrent pas sur des produits de consommation courante. Vous imaginez acheter votre Renault Clio 15000 € en 2008 et 7500 € en 2009 ? Donc, à partir du moment où on considère que ce marché est spéculatif, il faut en accepter les règles. Il ne peut concerner que quelques initiés, et il comporte bien évidemment des risques. Et cela vaut pour Messieurs les acheteurs qui réclament des baisses, comme pour messieurs les vendeurs qui ont profité d'une demande qu'on peut considérer partiellement artificielle (les bonus de la City ne se fêtent plus actuellement autour d'un Petrus).

Et après ? Le problème de tout cela est que ce marché spéculatif se situe tout de même au sein d'un marché bien réel et beaucoup plus traditionnel : celui des vins de bordeaux, lui même intégré dans le marché mondial des vins (dont nous avons parlé il y a quelques jours ). Et que ce marché spéculatif a toujours joué à Bordeaux un rôle de révélateur et de locomotive. C'est assez simple à comprendre : en bref, quand les "grands crus" toussent c'est tout Bordeaux qui s'enrhume. Pour deux raisons :

D'une part, si ceux qui sont en haut de l'échelle baissent leur prix sous la pression des acheteurs, il y a inévitablement un effet en cascade. Les seconds vins des grands vont baisser eux aussi et venir concurrencer les meilleurs vins issus de région à plus faible notoriété. Encore une fois, prenons un exemple pour être clair. Si demain Audi décide de baisser le prix de son Q7 de manière significative, l'ensemble de la gamme devra suivre. Et au final l'Audi A3 sera au prix de la Clio... Il y avait à ce sujet un article intéressant dans le JDD de dimanche dernier (http://www.lejdd.fr/cmc/economie/200912/pourquoi-le-prix-des-vins-va-baisser_196372.html). Quand vous allez trouver le second vin d'un cru classé ou d'un Saint Emilion Grand Cru à 12 € en supermarché à Pâques ou à l'automne, à quel prix le moins connu mains néanmoins délicieux Chateau Robin devra t'il se positionner ???

D'autre part, ce sont, à Bordeaux, les négociants qui vendent la quasi totalité des grands crus mais aussi une grande partie de la production bordelaise. Donc ce sont les mêmes acteurs qui sont présents à la fois sur le marché spéculatif et sur le marché traditionnel. Si les capacités financières de ces acteurs sont amoindries du fait de leur perte sur le marché spéculatif, ils vont avoir du mal à intervenir et maintenir leur position sur le marché traditionnel. Autrement dit, du fait de leur stock dévalué, les négociants vont hésiter à inverstir sur des marques moins connues. Cela ne vous rappelle t'il pas quelque chose ? Les banques qui ont perdu beaucoup d'argent sur des placements risqués ont aujourd'hui des difficultés pour prêter de l'argent au particulier ou à la PME. En s'éloignant de leur activité traditionnelle, elles ont pris des risques inconsidérées. Il en est de même des négociants.

Pour ces deux raisons, je serais tenté de dire : "messieurs, ne baissez pas les prix !" Car ce faisant ce n'est pas vos entreprises que vous mettrez en difficulté mais celles de la majorité des producteurs bordelais ! Ceci dit, si j'étais propriétaire d'un grand cru, je crois que je baisserais les prix ! Encore que...

Jean Jacques ROUSSEAU (un grand pessimiste !!!) : "Celui qui n'a rien désire peu de choses ; celui qui ne commande à personne a peu d'ambition. Mais le superflu éveille la convoitise : plus on obtient, plus on désire"

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